Pourquoi accepter la restitution d’œuvres d’art au Bénin?
Quand le Bénin demande la restitution d’œuvres d’art pillées pendant la colonisation, la réponse est négative. Rendre un trésor de guerre ? Pas question, répond la France. Pourtant, cette restitution est non seulement possible mais aussi et surtout souhaitable, tant pour le Bénin que pour la France.
Une restitution possible
Pour argumenter ce refus, le ministère des Affaires Étrangères s’appuie sur le droit. En effet, les biens et œuvres d’art du domaine public de l’état Français sont soumis au principe d’inaliénabilité. C’est-à-dire que ces biens ne peuvent être ni cédés, ni vendus ou saisis. Pourtant, des précédents existent dans l’histoire, en France et ailleurs dans le monde. Les revendications d’états sont multiples. Certes, la Grèce réclame en vain au Royaume-Uni la frise du Parthénon depuis plus de deux siècles. Le Nigeria a partiellement obtenu gain de cause pour la restitution de deux bronzes par la Grande-Bretagne. Quant à l’Ethiopie, elle a pu réinstaller en 2005 l’obélisque d’Axoum, emporté par Mussolini en 1937.
De même, la France a déjà rendu des biens précieux à leurs pays d’origine. Notamment à la Nouvelle-Zélande à qui elle remettaient en 2012 une douzaine de têtes sacrées maories. La rétrocession de ces visages tatoués a pu être légalement possible car elle entrait dans un autre cadre juridique, celui d’une convention internationale sur les restes humains.
Néanmoins, un autre précédent est constitué par le retour à la Corée du Sud de manuscrits anciens en 2010. On s’est alors accommodés du principe d’inaliénabilité par une pirouette déguisant l’opération en prêt. Sans aucune obligation de retour bien entendu. Comme quoi, quand on veut, on peut. Alors pourquoi ce rejet de la requête du gouvernement du Bénin ?
Réparer une injustice
Les objets réclamés par le Bénin constituent le butin de guerre emporté par le Général Dodds en France, lors du pillage du Palais du roi Behanzin en 1892. Aujourd’hui, le refus de rendre des biens récupérés lors d’un pillage est justifié par certains en France par le caractère inaliénable des biens du domaine public en France. Or, cette justification apparaît immorale au regard de l’origine de ces biens, dont un pillage est à l’origine. Se réfugier derrière une réponse juridique est malvenu quand il s’agit de trésors volés. La moralité exigerait donc une réponse plus adaptée. Rendre ce butin (entre 5000 et 6000 objets inventoriés) ne vient pas réparer les méfaits de la colonisation, mais rendre une forme de justice sur un fait précis.
Le pays des Droits de l’Homme ne peut pas se dissimuler derrière un principe juridique qui va à l’encontre de valeurs universalistes. Surtout quand ce refus entraîne la colère des opinions publiques, outrées par un tel mépris. A ce titre, la réaction de l’homme d’affaires et collectionneur d’art Sindika Dokolo illustre bien ce sentiment. Il qualifie cette fin de non-recevoir, d’insulte aux peuples africains.
Ma réaction à la spoliation par la France du patrimoine du #Bénin.
Retweetez ! Ne plions pas ! #GiveUsBackOurArt #RDC #Afrique #Africanart pic.twitter.com/ls47uTNagt— Sindika Dokolo (@sindika_dokolo) 28 mars 2017
Réappropriation de l’histoire
Les biens revendiqués par l’Etat béninois sont de grande valeur. Leur valeur financière sur le marché de l’art est immense. Leur valeur historique l’est encore plus. Parmi eux, des bijoux, des sceptres, les portes du palais, un trône royal… Autant de fragments de leur histoire dont sont privés les béninois. Ces racines arrachées par le grappin de la colonisation ne peuvent qu’être à l’endroit qu’elles n’auraient jamais dû quitter. « L’homme africain n’est pas rentré dans l’histoire » clamait haut et fort Nicolas Sarkozy en 2007 à Dakar. Priver les africains des liens qui les rattachent à leur passé a certainement contribué à une telle croyance, plus que contestable et contestée.
La construction d’un Etat passe par la conscience que son peuple forme une nation. Pour cela, l’histoire est primordiale, et son appropriation capitale. L’avenir des pays africains passe par cette étape. La France se doit d’y collaborer en redonnant la pièce du puzzle qu’elle possède.
Contribuer au développement économique du Bénin
Quand Patrice Talon, le président béninois, lance cette procédure de restitution, il ne le fait pas seulement pour la symbolique. Outre le courage nécessaire à une telle action, la demande est aussi guidée par une vraie stratégie de développement. En effet, le processus s’inscrit dans un cadre beaucoup plus large de réforme de l’offre culturelle et touristique du Bénin. L’Afrique en général n’attire pas les voyageurs. Ce patrimoine récupéré et exposé pourrait servir d’appel pour un tourisme mémoriel, culturel et artistique et ainsi compléter les atouts naturels du pays.
Au Bénin, il n’y a pas de pétrole et le gouvernement a l’intelligence de miser sur le tourisme. Ce secteur de l’économie représente déjà 2.5% du PIB, faisant du pays la première destination touristique d’Afrique de l’Ouest avec 230.000 visiteurs en 2013. Diversifier l’économie d’un pays est nécessaire et le développement des services indispensable. Collaborer à cette politique ne demande pas à la France de faire un chèque, mais juste de rendre ce qu’elle n’aurait jamais dû posséder. Un si léger effort pouvant entraîner des conséquences politiques et économiques au Bénin, et diplomatiques en Afrique, en faveur de la France.
Redorer le blason de la France sur la scène internationale
En cédant à la pression d’une restitution des œuvres au Bénin, la France craint d’ouvrir la boîte de Pandore. Parce que le Bénin n’est certainement que le premier d’une longue liste. Devant ce mouvement à venir, irrémédiable et irréversible, l’attitude rétive de la France ne sera pas pour la servir. Mieux vaut s’y préparer. Car au-delà de la considération des désirs des peuples et de l’opinion publique, la France pourrait aussi profiter de l’occasion pour redorer son blason sur un continent où elle perd continuellement de l’influence.
Les relations diplomatiques ne sont pas toujours au beau fixe entre la France et un nombre de pays du continent. Le poids de la colonisation et les sombres pratiques de « la Françafrique » n’y sont pas pour rien. Alors que l’influence hexagonale s’amenuise sur le plan économique, il reste un terrain sur lequel la France dispose d’un avantage : la culture. Elle dispose en effet d’un élément culturel commun avec ses anciennes colonies : la langue. Pour cela, la Francophonie est un atout de poids pour user d’une diplomatie douce et conserver un espace non pas de domination, mais d’interactions. Intégrer l’art et la culture au milieu d’un vaste programme basé sur l’idiome commun pourrait s’avérer un pari gagnant. Et quel meilleur argument la France possède-t-elle que ces trésors dont la restitution peut s’avérer enrichissante pour chaque partie ?
Ce qu’elle perçoit aujourd’hui comme une contrainte peut ainsi se transformer en formidable outil de soft power pour une France en perte de vitesse dans son ancien pré carré.
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