Nigeria ou la trilogie des liquides
Terre de contrastes, le Nigeria abrite en son sein des faces bien distinctes. Champion économique en proie à de graves problèmes sécuritaires, sa situation actuelle peut s’analyser par un détonant trio de liquides ; pétrole, champagne et hémoglobine.
Au pays de l’or noir
On l’a souvent lu : le plus grand malheur de l’Afrique, c’est sa richesse. Le Nigeria ne fait pas exception à cette maxime puisqu’il est plutôt gâté par la nature en termes de ressources énergétiques. Classée parmi les douze plus gros producteurs mondiaux de pétrole, l’ancienne colonie britannique occupe la première place du continent dans ce domaine.
L’abondance de cette richesse se traduit dans les performances économiques du géant d’Afrique de l’Ouest. Première économie du continent, le pays affiche une croissance moyenne de 7 % sur la période de 2008 à 2013. Pour autant, les retombées ne sont pas perçues par tout le monde et 91 % de la population vit avec moins de 2$/jour.
Dans l’Etat fédéral, l’inégalité est également forte entre les Etats fédérés. Si celui de Lagos (capitale économique) affiche un PIB égal au triple du PIB du Sénégal, la majorité des 36 Etats sont loin des canons occidentaux parfois présentés à Lagos, Ibadan ou Abuja.
La principale raison de ces déséquilibres réside dans un seul facteur : la corruption. En la matière, les élites locales du pays sont championnes, avec la complicité de diverses multinationales qui usent et abusent de cette faiblesse.
Barils et caisses de champagne
Pour sceller les accords entre corrupteurs et corrompus, il faut bien un breuvage à la hauteur des sommes détournées. Et pour le nectar à bulles, le gratin nigérian ne lésine pas et classe le pays au deuxième rang de la consommation mondiale de champagne !
Dans les clubs houses privés ou les adresses chics de Victoria Island, la boisson champenoise est absorbée sans modération pour enfermer un peu plus leurs consommateurs dans une tour d’ivoire à des années-lumière de la réalité du quotidien.
La concubine de l’hémoglobine
C’est qu’il faut une sacrée dose d’ivresse pour oublier ce qui se passe loin des lieux de pouvoir. Bientôt six ans que Boko Haram sévit principalement dans l’Etat de Borno. Plus de 13 000 morts à ce jour.
Officiellement, le pouvoir central se donne bonne conscience, allouant de forts budgets à la lutte contre le terrorisme, en sachant pertinemment que ces sommes ne serviront jamais à combattre les hordes sanguinaires. L’ONG Global Financial Integrity, a pointé du doigt les fuites illégales de capitaux qui pour ce pays approchent la centaine de milliards de dollars depuis les années 1970.
Comptes bien garnis et bulles plein la tête sont certainement des ingrédients efficaces pour provoquer l’amnésie de la classe dirigeante, et cela jusqu’au président du pays. Au lendemain des attentats contre Charlie Hebdo, Goodluck Jonathan adressait ses plus sincères condoléances au chef de l’Etat français sans même oser tourner les yeux vers la ville de Baga où venait de se perpétrer un massacre hors de commun.
Cela explique la circonspection de ses homologues africains, ainsi que la retenue des diplomaties occidentales. Pourquoi se mêler d’une affaire interne quasiment ignorée par le président Jonathan ?
Malgré les déclarations de principes du dernier sommet de l’Union africaine sur la question, la mise en place d’une force armée capable de faire front à Boko Haram paraît loin d’être aboutie. Loin des populations locales victimes, on continuera à faire l’autruche en plongeant la tête dans des seaux à champagne. Ne manque plus que de l’eau pour s’en laver les mains.
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