José Mujica, successeur de Madiba
On nous l’a dit, on nous l’a répété, après Nelson Mandela : le néant. Fini le temps des leaders charismatiques aux idéaux universels, capables de mobiliser les foules dans un souci de justice et d’égalité. Le 20e fut le siècle des Luther King, Mandela et autres Gandhi, le 21e appartient aux technocrates, aux politiciens blafards et aux financiers avides, tous prosternés devant les lois de l’ultra libéralisme.
Pourtant des têtes et des pensées divergent et, malgré l‘agitation médiatique, demeurent étrangement écartées de la lumière des projecteurs. Parmi elles, le président de l’Uruguay, José Mujica, un chef d’Etat dont il n’est pas dur de comprendre pourquoi nos politiciens ne le citent jamais en exemple.
Un terroriste à la présidence
Tout comme l’ancien président sud-africain, le natif de Montevideo fut longtemps considéré comme un terroriste. Membre de la guérilla urbaine des Tupamaros, il participe dans sa jeunesse à des actes de résistance (vols, sabotages…) ayant pour but de se défendre contre les milices d’extrême droite et d’établir une société plus juste et égalitaire.
Capturé par la dictature militaire aux commandes du pays, Mujica se retrouve emprisonné de 1973 à 1985. Un traitement particulièrement sordide lui est réservé pendant son enfermement, à base de tortures et d’isolement, dont deux années passées au fond d’un puits. Loin d’attiser en lui la haine, ces conditions de vie ne vont pas abattre le militant dont les messages de paix et de partage trouveront un écho grandissant à sa libération. Fondateur du MPP (Mouvement de participation populaire), il gravit un à un les échelons des responsabilités politiques ; député, sénateur, ministre de l’Agriculture puis président du pays.
Une modestie à toute épreuve
Son accession à la plus haute magistrature ne changera pas son mode de vie. La simplicité est toujours de rigueur : il déserte le palais présidentiel pour continuer à vivre dans sa ferme, il se déplace sur son scooter Vespa ou dans sa Coccinelle Volkswagen quasi trentenaire. Question vestimentaire également, pas de chichis. Ses détracteurs raillent ses bottines usées, mais il se moque du protocole et se refuse à porter la cravate même dans les sommets de chefs d’Etat.
Ainsi sont les personnages charismatiques, ils ne se mettent pas en lumière, la lumière vient à eux. Et lorsque son pays de trois millions et demi d’habitants est cité en exemple, il garde les pieds sur terre et laisse l’entier mérite à son peuple, expliquant que la bonne santé économique de l’Uruguay est due « non au gouvernement, mais aux gens qui y travaillent ».
Le peuple d’abord
Tout dans l’action du fils de fermier est guidé par une idée directrice : l’intérêt général. Au bout de sa démarche de partage, deux mesures fortes et hautement symboliques forcent l’admiration.
Il l’avait promis, il l’a fait : il reverse 90 % de son salaire de président à des œuvres caritatives, ne conservant pour lui que l’équivalent du revenu moyen uruguayen. Loin des profiteurs qui abusent du pouvoir pour accroitre leur patrimoine personnel, l’altruisme du cultivateur de fleurs (sa profession) lui a valu le qualificatif de « Président le plus pauvre du monde ». Face à ce titre décerné par les médias, il cite Sénèque : « Le pauvre n’est pas celui qui a peu , mais celui qui veut beaucoup ».
Enfin, ému par la mort de cinq sans abris durant l’hiver 2011, le président a pris le problème à bras le corps en faisant élaborer une liste des bâtiments publics disponibles pour l’accueil des personnes démunies en cas de saturation des foyers d’hébergement d’urgence. Dans cette liste, il a fait cocher le Palais présidentiel qu’il n’occupe pas et souhaite ainsi offrir aux nécessiteux en cas de besoin.
Une vision progressiste
S’appliquer à lui-même les préceptes de sa politique, voilà la force de celui qui critique sans cesse les dérives du capitalisme et de la société de consommation.
Mais au-delà de cette philosophie, l’homme a réussi la prouesse de réformer un pays ultra conservateur sur des questions sociétales telles que l’avortement et le mariage. Non sans douleur, une loi qui dépénalise l’avortement dans certaines conditions est finalement adoptée en octobre 2012 par les députés uruguayens. Six mois plus tard, en avril 2013, c’est au tour du mariage d’être ouvert aux personnes du même sexe.
Autre sujet sur lequel Mujica adopte une position avant-gardiste : la drogue. Il prône la légalisation de la production et de la vente de cannabis qui deviendraient ainsi un monopole d’Etat. Face à l’échec des politiques de répression exercées dans d’autres pays d’Amérique latine (Colombie, Brésil, Mexique), sa solution audacieuse vise à couper l’herbe sous le pied des trafiquants et ainsi éradiquer ce marché noir et la criminalité qui en découle. Après de longs débats, la loi a été promulguée au début du mois.
Atypique dans son style et par ses actions, José Mujica constitue un poil à gratter pour l’élite gouvernante. Si certains le qualifient de populiste, on ne peut qu’être admiratif devant ce révolutionnaire qui a payé de sa personne pour défendre ses idées et qui, une fois arrivé au sommet, s’est attaché à rester exemplaire.
Fidèle à ses convictions, il ne se sert pas de sa fonction pour le prestige et les passe-droits mais uniquement pour servir le peuple, ne galvaudant pas ainsi les principes de la démocratie. Conformément aux dispositions de la constitution uruguayenne, il ne sera pas candidat à sa propre succession à l’automne prochain. Le monde perdra alors un sincère et attachant dirigeant, à classer sans aucun doute dans la catégorie des Grands Hommes.
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