Les saints de l’art polonais

Article : Les saints de l’art polonais
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14 août 2013

Les saints de l’art polonais

Lorsque l’on ouvre le petit Larousse sur la page contenant le mot « brut », on lit la définition suivante pour cet adjectif : « qui n’a pas été façonné, traité ou qui est très sommairement élaboré ». Prolongée dans le domaine artistique, l’expression d’art brut désigne des productions spontanées échappant aux canons habituels du monde l’art. Réalisées par des artistes à la marge, les œuvres classées dans cette catégorie sont le fruit d’esprit non formatés. Loin des Beaux-Arts, des écoles de design ou des dernières tendances, c’est à ces créateurs hors normes que le Musée de la Création Franche se consacre au travers de sa collection permanente et de ses expositions temporaires au rythme d’une demi douzaine par an. 

Cette année, la période estivale fait honneur à la Pologne et c’est une première en France de voir une exposition entièrement dédiée à l’Outsider Art (autre désignation de l’art brut) de ce pays. Ainsi, une douzaine d’artistes issus de ce territoire de l’ex bloc soviétique, est présentée dans les salles du musée bèglais, offrant au public autant d’univers variés et conférant à l’événement un aspect riche et dynamique.

Tadeusz Glowala, Sans titre (crédit: Yanik)
Tadeusz Glowala, Sans titre (crédit: Yanik)

A peine entré dans le bâtiment, deux pas suffisent pour entrer dans le vif du sujet avec une première salle occupée par 24 gouaches signées Henryk Zarski. Dans la rondeur de ses traits, se nichent des couleurs vives pour dépeindre des scènes de la vie rurale polonaise. La pièce attenante abrite les productions d’inspirations animalières de Roman Rutkowski ainsi que les remarquables mosaïques architecturales de Tadeusz Glowala. Dans ses façades se côtoient coloris vifs et formes géométriques créant un effet de relief des plus captivant.

La visite du rez-de-chaussée s’achève par un espace partagé par trois artistes. Adam Dembinski s’y taille la part belle avec de nombreuses œuvres composées sur papier brun à l’aide de pastels, feutres et mines de plomb. Son travail parfois flashy n’est pas sans rappeler le dessin de Jean-Michel Basquiat. Epuré, son coup de crayon décrit des scènes typiquement polonaises, où l’armée, la campagne et la religion sont omni présentes.

Au centre, deux parois se faisant face sont investies par une installation de Mikolaj Lawniczak. Accumulation d’images de petits formats,  ce travail apparaît comme représentatif du titre de l’exposition. Ici sont bel et bien apposés les saints de la société polonaise, ceux d’ordre classique représentés par des photos du pape ou des icônes religieuses, et ceux de l’ère moderne et capitaliste ici décrite par des photographies de mode, de publicité ou d’automobiles…

Le dernier occupant de cet espace est Wladyslaw Roslon dont on peut admirer quatre acryliques forestiers aux teintes de verts et bleus nocturnes.

Adam Dembinski, Sans titre (crédit: Yanik)
Adam Dembinski, Sans titre (crédit: Yanik)

Un vent de fraîcheur souffle après l’ascension des escaliers menant à l’étage. La courte grimpette débouche sur l’univers léger et enfantin de Justyna Matysiak dont la technique de dessin est mise au profit d’une imagination positive, pour engendrer des pièces résolument féminines et chatoyantes. Cette joie innocente côtoie la calligraphie intrigante d’une autre jeune trentenaire, Iwona Mysera.

Dans la salle 5, les murs s’offrent à la minutieuse mine de Przemyslaw Kiebzak, souvent employée pour reproduire des architectures médiévales, parfois pour des sujets animaliers. Une première vitrine étale des lettres (des vraies, timbrées et oblitérées) de Wladyslaw Grygny, dont les écrits sont mis en forme pour accomplir de véritables compositions graphiques. L’autre vitrine abrite une trentaine de sculptures en bois façonnées par Konrad Kwasek, qui parvient à léguer à ces simples statuettes (femmes et enfants uniquement) une émotion rare.

Ryszard Kosek "Mes petites souris" (crédit: Yanik)
Ryszard Kosek « Mes petites souris » (crédit: Yanik)

La prochaine zone nous immerge dans l’univers masculin et alcoolisé de Ryszard Kosek. Ce jazzman et peintre appose sur des panneaux de carton aggloméré (isorel) des instantanés festifs et musicaux créant une atmosphère décalée et grotesque propre à un certain cynisme réaliste.

Enfin, un dernier volume est voué à l’œuvre d’Adam Nidzgorski. Né en France et résidant à Marseille, il entretient depuis sa plus tendre enfance des liens étroits avec le pays d’origine de ses parents. Au total une trentaine de pièces dévoilent au visiteur des personnages, souvent nombreux et entremêlés, aux yeux de forme circulaire. De ces ronds observateurs se dégagent des sentiments multiples malgré la forme identique des regards, tour à tour joyeux, effrayés ou interrogateurs.

Adam Nidzgorski, sans titre (crédit: Yanik)
Adam Nidzgorski, sans titre (crédit: Yanik)

La multiplicité et la diversité des artistes sélectionnés pour l’évènement transforment le visiteur en électron libre navigant entre les mondes hétéroclites de créateurs unis par un lien de nationalité et d’émotivité. Car en Pologne comme ailleurs, quand l’art se fait brut, l’émotion est franche.

 

Les saints de l’art polonais

Jusqu’au 8 septembre 2013

Musée de Création Franche, 33130 Bègles

 

 

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