Yanik

Croisement de regards

 

 

Une promenade artistique sur le littoral basque à travers les générations et les styles, tel est le programme promis par l’exposition visible jusqu’au 31 octobre.

Tout semble opposer Françoise Clavel et Cédric Mégnien pourtant deux passions les unissent : la peinture et le Pays Basque. Se côtoyant depuis plusieurs années, ces deux là n’ont pas mis beaucoup de temps à comprendre que leurs styles pouvaient être complémentaires. Cette union artistique débouche aujourd’hui sur une troisième exposition commune dans les murs du Colisée à Biarritz.

Le port des pêcheurs de Biarritz par Françoise Clavel

Native de la cité balnéaire, la jeune et dynamique retraitée est depuis toujours attirée par l’océan, ce dernier exerçant un véritable pouvoir d’attraction sur elle. Passionnée par l’univers marin, Françoise Clavel expose ici des sujets variés comme des voiliers, des navires de guerre, et bien évidemment des paysages côtiers. Sa ville de naissance est à l’honneur avec ses plages, son port des pêcheurs, la villa Belza… Les travaux retranscrivent à merveille la si particulière lumière qui se pose souvent dans cette région. Douceur du matin ou couchers de soleil, la touche est toujours ultra réaliste et s’attarde sur les moindres détails d’un paysage ou d’une architecture.

 

Le musée de la mer de Biarritz par Cédric Mégnien

 

A contrario, Cédric Mégnien épure ses toiles et interprète les décors avec des lignes. Il en résulte un travail très graphique rehaussé par une palette vive et une attendrissante patte naïve. Le trentenaire résidant dans la région depuis sept ans avoue qu’il s’y est tout d’abord installé pour s’adonner à sa passion de la glisse. Arrivé par et pour le surf, la vie au Pays basque sera pour lui un déclic qui le poussera à réaliser ses premières toiles. Au début limité aux vagues et au surf, son travail s’enrichit au cours des années et le cadre s’élargit. Couleurs, joie et traits simplifiés, la peinture traduit à merveille l’état d’esprit de l’artiste dont le style pictural est « une vraie philosophie de vie, un reflet du monde » tel que souhaite le voir ce jeune père qui a su garder ses yeux d’enfants.

 


Dernière ballade pessacaise avec Leila Sadel

 

L’Artothèque de Pessac accueillait jusqu’à samedi dernier, le travail de l’artiste franco marocaine en résidence dans l’institution un peu plus tôt dans l’année. 

 

 

  Dans une pièce rectangulaire à l’éclairage uniforme et indirect projeté par quatre rangées de néons accrochées à un haut plafond, le mur droit est consacré au travail de Leila Sadel. Un nuage hexagonal composé de photographies et de textes s’offre aux yeux du spectateur; alternance d’images, de mots et de pauses. Point de sujet humain sur les clichés, le regard de l’artiste se pose sur des détails à l’aide d’un cadrage extrêmement serré. Les couleurs magnifiées par de splendides lumières exacerbent les fragments ainsi assemblés pour retranscrire les déambulations lyriques de celle qui s’est attachée pendant des mois à parcourir les rues de la ville de Pessac.

Complété par une projection vidéo intitulée « Amorces », l’aperçu est une belle entrée en matière dans l’univers de cette jeune femme de vingt sept dont le monde de l’art n’a pas fini d’entendre parler, tant sa sensibilité est capable de susciter de riches émotions.

 

 

 

Barthélémy Toguo: « In the heart of lie » 2009

 

Quittant les traces de Leila Sadel, le visiteur peut, sur les autres parois de la pièce, admirer les dernières acquisitions de l’institution. La richesse de la production artistique

contemporaine est reflétée dans la vingtaine œuvre présentée. Parmi celles-ci une seule peinture figure au milieu de photographies, dessins, lithographies et autres techniques mixtes. Ne cherchez pas un fil conducteur dans cet exposé, les mondes se percutent et l’on passe sans vergogne du noir et blanc à la couleur, de la colère à la dénonciation, de l’absurde à l’interrogation. De ce lot de récents achats se détachent sans aucun doute une allégorie du très émouvant Bartholomé Toguo, le nombre conséquent d’œuvres photographiques (John Miller, Juraj Lipscher, Lynne Cohen, Mathieu Pernot…) et une réflexion d’esthétique warholienne signée Antonio Muntadas.

 

 

Décrochées des parois, les œuvres sont désormais disponibles pour le prêt, nul doute qu’elles trouveront rapidement des amateurs emprunteurs.


Jean-Jo Marmouyet, l’ouverture grand angle

Jean-Jo photographié par son compère rugbyman et photographe, Vincent Inigo.

 

Connu pour ses exploits sous le maillot ciel et blanc, le bayonnais pur sucre fut frappé par la passion de la photo à l’âge de quatorze ans. A cette époque, il manipule le boîtier Minolta de sa maman avec lequel il fait ses premières armes. Malgré l’investissement total demandé par sa vie de sportif  professionnel, le rugbyman n’a pas fait une croix sur ses envies de voyages, nourrissant l’espoir d’un après ovalie constitué d’expéditions et de prises de vues.

 

Hors du terrain, le gaillard aime à cultiver son jardin secret et accepte ce jour de nous en livrer une partie à commencer par la photographie, passion qui l’anime depuis l’adolescence. Même s’il avoue avoir abandonné un peu cette pratique lors de la révolution numérique, l’intérêt est toujours rester vif, à tel point qu’il s’acheta un appareil reflex avec les premiers gains remportés à la sueur des ses courses et de ses poussées.

Afin de franchir un palier, il suit en 2008 une formation dispensée par Cédric Pasquini, photographe professionnel installé à Bayonne, « dans le but d’apprendre les techniques, d’obtenir des compétences et d’acquérir une approche professionnelle ». Car il se voit bien transformer sa passion en gagne pain dans quelques années, « c’est un métier que j’adorerais exercer » concède-t-il avec une lueur dans les yeux.

En attendant, l’œil s’aiguise et l’index devient précis devant les sujets qu’il traite, essentiellement des portraits. Viscéralement attaché à l’humain, Jean-Jo ne cherche pas l’esthétique par la beauté de la personne photographiée, mais plutôt « des tronches qui vont m’attirer, et qui deviennent belles par le moment capté, la magie de l’instant ». Même lorsqu’il part en voyage, la plupart des clichés rapportés sont à nouveau des portraits. Il le reconnaît facilement, « le portrait est ce qui me captive le plus, certes j’ai tendance à resserrer l’image sur les visages mais chaque portrait se réfère tout de même à un scène particulière ».

 

Une prise de vue signée Jean-Jo.

Plus que la photo artistique, c’est bien en raconteur d’histoire qu’il se positionne à l’instar de Depardon dont il admire « le travail de témoignage relaté par l’image et par l’écrit, une œuvre complète ». Aventurier dans l’âme, l’assoiffé de découverte pour qui « la route et les gens croisés sont plus importants que la destination » se prend à imaginer « un voyage  en Amérique en Sud scindé en deux étapes, la première commandée par une mission de reportage, la seconde constituée par un périple libre au fil des vents et des rencontres ».

Songeur, le sportif n’en garde pas moins la tête sur les épaules, conscient qu’il vit « un rêve éveillé en tant que joueur professionnel », mais il se permet d’en faire d’autres et de se donner les moyens d’y parvenir dans l’avenir. Parcourir le monde en fait partie, en compagnie de son appareil et de son carnet, réaliser une expédition à long terme pour rapporter visages et histoires, sous son regard curieux empreint de générosité.

 

Avant cela, c’est bien les stades de France et d’ailleurs que le rugbyman va fouler pendant plusieurs saisons encore. Quant au photographe, il prépare pour le mois de décembre  une exposition intitulée « Triptyque » au Musée Basque, durant laquelle ses travaux répondront aux enluminures de Michou Padrones et aux textes de Txomin Laxalt.


Julien Goul, le souffleur de bulles

 

Jouissant d’une petite réputation locale (1), l’artiste bayonnais se situe à l’aube d’un virage majeur dans sa carrière, en témoigne sa récente entrée au catalogue Drouot.   

 

Le peintre derrière ses toiles exposées lors du marché Montmartre à Bayonne

 

Dans son habit à imprimé marin, Julien Goul n’est pas homme à se laisser décourager par la pluie. Tout comme une poignée d’artistes de l’association « Amicale Porte d’Espagne » (2), il a bravé une météo capricieuse pour exposer ses œuvres aux pieds de la cathédrale bayonnaise.

C’est dans cette ville qu’il a posé ses valises sept ans auparavant au grès d’une mutation professionnelle. Depuis, il a lâché son ancien boulot mais pas la ville dans laquelle il se sent parfaitement intégré. Le coup de foudre avec sa cité d’adoption se prolonge jusque dans son travail artistique. « Originaire de Rouen et amateur d’architecture, j’ai immédiatement adoré Bayonne qui présente quelques similitudes avec ma ville de naissance » précise le trentenaire.

Tout naturellement cet endroit devient pour lui une source d’inspiration, reprenant ainsi dans ses toiles de multiples décors chargés de vielles pierres et de colombages. « Je me rends sur place faire des prises de vue, puis à partir de ces clichés je reconstitue les décors à l’identique, reprenant aussi les défauts qui en font le charme tel un mur penché ».

 

A l’intérieur de ces cadres, nulle représentation humaine, « avant je ne dessinais que des personnages, mais depuis que je peints, je n’en fais plus du tout ».  En lieu et place d’homme et de femmes figurent d’étranges bulles bleues qui permettent à l’artiste d’exprimer diverses émotions. « J’appose des bulles dans ce monde desséché, en manque de lien social », Julien précise son assimilation, « chacun vit dans sa bulle et chacune de ces bulles interagit sans cependant se mélanger ».

En permanence branché sur l’actualité, Julien applique ses acryliques à plat, par fines couches, cette technique picturale étant la plus adaptée à sa manière de peindre, compulsive au rythme des idées incessantes qui surgissent dans son esprit. Nostalgique, la critique du citoyen idéaliste reste cependant toujours positive comportant sur chaque toile le symbole d’une leur d’espoir.

Pour se déconnecter totalement de la réalité, l’artiste s’exerce également à la sculpture, un art qu’il exerce dés sa plus tendre enfance, un âge « où je passais mon temps à sculpter le bois dans le garage de mon père ». Point de bois, il utilise désormais un matériau composite, le Corian, qui lui offre des possibilités exceptionnelles dans la forme, la masse, ou la couleur. Dans cette discipline, le jeune homme livre des pièces aux courbes veloutées dont l’une d’elles fut largement remarquée lors d’une exposition dans le cloître de la cathédrale de Bayonne  au cours de l’été 2012.

 

Tour à tour rêveur romantique ou chroniqueur social, l’attachant artiste garde dans ses œuvres comme dans la vie un optimisme à toute épreuve, relayé par un sourire enjoué, y compris  les jours d’exposition en plein d’air sous  un ciel menaçant…

 

 

(1) Julien Goul a remporté le premier prix de peinture du Musée Asiatica de Biarritz en 2012, il a également été primé au salon des indépendants de Saint Jean de Luz.

Il expose actuellement au Cinéma l’Atalante jusqu’au 31 octobre 2012.

(2) L’Amicale Porte Espagne réunit une quarantaine d’artistes, elle organise notamment le Marché Médiéval ainsi que le  Marché Montmartre (10 dates dans l’année).


Alex Greenbask, le Pays Basque en coeur et en couleur

 

Nouveau venu sur la scène artistique, Alex Greenbask a présenté ses premières productions picturales lors de deux expositions dans le courant du mois de septembre. L’occasion de faire connaissance avec ce jeune garçon plein d’avenir. 

 

Alex face à un de ses décors favoris, inspirateur de plusieurs de ses œuvres.

 

Crâne lisse et courte barbe, l’homme à la carrure sportive prend son petit-déjeuner devant l’immensité océanique. Les yeux dissimulés derrière des verres fumés, il déguste son premier repas du jour ainsi que chaque composante du décor exceptionnel qui s’offre à lui ; la falaise, le phare, les vagues, l’horizon…

 

Bien qu’il parcoure le monde, Alex ne se lasse pas de cette vue et aime à se ressourcer là où se trouvent ses racines, au Pays Basque. Ce pays quitté à l’âge de quinze ans pour suivre un père expatrié aux quatre coins du monde (Birmanie, Philippines, Egypte…), il n’a cessé de le dessiner durant ses années d’exil. Revenu au bercail depuis deux ans, il ose un jour montrer une de ses esquisses à un couple d’amis. Enthousiasmés, ceux-ci l’encouragent à transposer son travail sur toile, ce fut pour lui le déclic.

 

 

Ils foncent acheter toiles et acryliques et entreprend ses premières œuvres, reprenant les personnages dessinés depuis tant d’années. Sans appréhension, le jeune homme trempe ses pinceaux dans une palette de couleurs vives et réalise des œuvres dynamiques, dans lesquelles l’épaisseur des traits noirs ainsi que le choix des teintes naïves forment un ensemble rafraîchissant pour l’œil du spectateur.

 

La culture basque, la fête, la famille, la convivialité, la mer, tous les thèmes chers à ceux qui sont attachés à ce pays se retrouvent dans les oeuvres ensoleillées du peintre, un soleil aux rayons pétillants inondant de lumière mais aussi et surtout de joie de vivre. Enfin, la dernière caractéristique peut se voir comme une réelle signature de l‘artiste, il s’agit du cœur, présent sur chaque peinture, symbole sans aucun doute de l’immense amour que porte l’artiste pour sa région.

 

 


Alama Diakité, l’art bogolan et la manière rasta

Un tissu bogolan réalisé par Alama Diakité

 

A l’heure de  l’industrie textile automatisée et mondialisée, persistent encore des techniques de production humaines et naturelles. L’une d’entre elles est une tradition en provenance de pays d’Afrique de l’Ouest (Mali, Burkina Faso et Guinée) nommée Bogolan.

 

Alama esquissant les premières lignes de son œuvre

 

 

Venu de Bamako, Alama Diakité était présent le temps d’un week-end dans le sud des Landes pour  présenter son savoir faire en la matière. Habitué des séjours en France, le malien y passe environ trois mois par an, période pendant laquelle il expose dans des manifestations et festivals africains.

 

Tranquillement assis derrière sa table, l’homme déplie ses presque deux mètres pour saluer mon arrivée. Sourire aux lèvres, il décrit patiemment le processus de création de ses textiles qu’il avait conté la veille à cent vingt enfants lors d’une animation destinée aux écoliers du secteur.

 

 

Une autre réalisation du créateur malien

 

L’histoire démarre dans la capitale malienne où Alama possède son atelier de fabrication. Dans cet endroit, il conçoit et confectionne les pièces ; des vêtements masculins et féminins, des tissus d’ornements ainsi que des accessoires tels des sacs. Une fois pensées et découpées, les parties sont trempées pour les premières impressions qui donneront au tissu ce coloris de sable chaud.

Viennent ensuite les mains d’artiste pour tracer et colorier les motifs qui rendront l’article unique. Tel un peintre, le grand rasta possède une palette de noirs, de gris et de marrons, des teintes toutes obtenues avec des ingrédients prélevés dans la nature. Le noir s’obtient avec la terre du fleuve Niger, une terre riche en fer, légèrement allongée avec de l’eau pour faciliter la pénétration dans la fibre. Pour jouer sur les teintes, le créateur dose les ingrédients qu’il ajoute à sa terre : cendres, écorces et plantes, en particulier des feuilles de n’galama, un arbre également connu pour ses qualités médicinales notamment contre le paludisme.

 

Les mains à l’ouvrage

A ce stade, les doigts de l’artiste s’expriment d’abord avec une plume qui sert à tracer les premières lignes et les contours de l’œuvre. Selon l’inspiration, se dessinent des sujets humains ou animaux, des motifs géométriques ou abstraits. Ensuite, les phalanges sélectionnent parmi ses outils (dont certains sont fait maison avec des bâtons de sucettes) les pinceaux adéquats pour appliquer les teintes sélectionnées dont les couleurs se révéleront après plusieurs étapes de trempages et de séchages.

 

Pour s’adonner à l’art du Bogolan, une patience à toute épreuve est requise, une qualité dont l’ancien membre d’une communauté rasta est loin d’être dépourvu. Celui qui vit de ses créations grâce à ses campagnes hexagonales rêve aussi d’exprimer ses émotions en musique et travaille sa voix en chantant les textes qu’il écrit en bambara. Toujours proche du Morasma (mouvement rastafari du Mali), nul doute qu’il trouvera les musiciens pour accompagner les mouvements de ses dread locks sur le rythme binaire de la douce musique reggae.

 


« Cercle » de Yannick Haenel

Je pense donc je fuis

 

 Qui n’a pas rêvé un jour de mettre les voiles, larguer les amarres, tout plaquer et briser les chaînes du train-train quotidien ?  Si beaucoup y songent et certains en parlent peu passent à l’acte comme le fait le héros du roman de Yannick Haenel.

 

Comme tous les matins, Jean s’engouffre dans les boyaux métropolitains afin de prendre le train de 8h07 pour se rendre sur son lieu de travail. Mais en ce lundi printanier, l’employé de bureau parisien ne montera pas dans la rame, frappé par une phrase qui vient illuminer son esprit et ouvrir ses yeux telle une révélation : « c’est maintenant qu’il faut reprendre vie ».

Les portes se referment et l’homme reste à quai avant de remonter à la surface goûter à ses premiers instants de liberté. Exit les dossiers, au diable le téléphone, il longe la Seine à la redécouverte de Paris, humant, touchant, vibrant aux moindres détails si souvent ignorés ; la douce musique des feuilles tremblantes, l’odeur de glycine, la beauté d’un papillon…

 

Bercé par les courants du cours d’eau, le personnage principal se laisser aller à tout type de rencontres, facilitées par son état d’esprit entièrement disponible. Sur son chemin, il croisera entre autres, pour le plus grand plaisir du lecteur, des sculptures de Giacometti, Pina Bausch, un coquelicot, Shakespeare, un tableau de Francis Bacon,  et de nombreuses conquêtes sexuelles.

 

Tout au long des cinq cents pages de l’œuvre,  l’écrivain enchaîne les courtes scènes et alterne les styles de description au gré des humeurs de son personnage. Tantôt romantique à l’âme poète, puis observateur critique du monde auquel il s’est soustrait, plus tard narrateur cru de ses ébats. A la manière d’un film de Quentin Tarantino, se succèdent sans vergogne et dans une réelle cohérence des chapitres de bonheur d’inspiration quasi mystique, des moments bruts et parfois brutaux, des métaphores ulysséennes et des réflexions marxistes.

Le rythme est présent et le romancier jongle avec les découpages de cette aventure pour suivre la quête de son déserteur et mener le lecteur dans les creux et sommets d’une vie transformée en montagnes russes.

 

 

NB : « Cercle » de Yannick Haenel, publié en 2007 aux éditions Gallimard, collection L’infini


Nouvelles d’Afrique

Voici une expédition pour laquelle le lecteur se laisse aisément emporter tant les ponts pour l’embarquement sont nombreux. Les voyageurs dans l’âme, les passionnés de voile, les amoureux du continent africain ainsi que les amateurs de littérature trouveront tous dans ce livre des raisons de contenter leurs appétits.

Sous la houlette d’Arnaud de la Grange, journaliste au Figaro, cet ouvrage compile les souvenirs et l’imaginaire d’un périple maritime d’une durée de huit mois. Le parcours débute dans la rade de Toulon pour réaliser un tour complet du continent île. A son bord, outre l’équipage, journalistes, photographes, dessinateurs et écrivains se succèdent au grès des douze étapes portuaires, douze escales qui donneront naissance à autant de nouvelles rédigées par des auteurs francophones de renom.

Chaque texte fait l’objet d’une introduction par le chef d’orchestre (Arnaud de la Grange) qui dresse en quelques lignes un portrait de la ville et du pays d’accueil.  Accompagnées des photographies de Véronique Durruty et Thomas Goisque, les œuvres nous invitent à humer l’atmosphère des contrées visitées grâce à une complémentarité évidente entre les clichés et les écrits.

Déguster un café et en admirer le rituel sur une terrasse de Massawa en compagnie de Ken Bugul, découvrir l’ambiance cosmopolite de Mombasa sous la plume d’Erik Orsenna, prendre la route au Bénin et se laisser conter une histoire d’amour par Florent Couad-Zotti, écouter le cœur battant du héros de Jean-Christophe Ruffin qui dévale les rues de Maputo pour de romantiques retrouvailles, telles sont (parmi d’autres) les aventures dont le lecteur s’émerveille au fil des pages.

Edité en 2003 par Gallimard, ce beau livre traduit formidablement le projet ambitieux d’une croisière à caractère littéraire.  Son ton résolument optimiste constitue une délicieuse invitation à regarder le continent sous un autre angle, à aborder des facettes peu souvent évoquées.

 


Comme dans Les Bronzés ?

Le témoignage d’un animateur en club de vacances  

 

 C’était une soirée ordinaire qui débuta autour d’un verre. Parmi les convives, une fois n’est pas coutume, quelques visages inconnus parsemés dans l’assistance. Entre l’habituel et le nouveau, mes jambes ne tremblèrent pas et dirigèrent mes pas vers une des ces personnes étrangères.

 

Grand gaillard au visage jovial, Bruno ne se fit pas prier pour entretenir la conversation. Au terme de cinq minutes de dialogue, il fit savoir qu’il avait travaillé pour une célèbre compagnie de villages vacances. Comme l’immense majorité des français, l’image de cette société est et sera dans mon esprit éternellement rattachée au célèbre film de la troupe du Splendid et, inévitablement, la question qui brûle les lèvres ne tarda pas à être posée : « est-ce vraiment comme dans les Bronzés ? ».

La réponse ne se fit pas attendre et fut au-delà des espérances. Esquissant un léger sourire, Bruno susurra : « c’est pire ! ».

Intrigué, je bombardais l’ancien G.O afin d’en savoir plus sur cette expérience de dix ans passées dans les villages vacances du voyagiste.

 

Démarrons par le commencement de cette aventure décennale. Au début des années 1990, âgé de vingt ans, Bruno est attiré par l’idée de travailler au soleil tout en découvrant du pays. Il remplit un dossier de candidature, questionnaire et composition écrite, qui sera retenu par le recruteur. Ce dernier l’invite alors à se rendre à Paris pour une seconde étape ; une journée de tests et d’entretiens ayant principalement pour but de découvrir la psychologie du candidat. A l’issue de ce marathon, le jeune homme est renvoyé chez lui sans commentaire. S’en suit une longue période d’attente à guetter la boite aux lettres pour connaître la suite des événements. Le courrier tant espéré arrive après une quinzaine de jours, Bruno est engagé et doit se présenter à Londres pour une semaine de formation.

 

Le séjour britannique est cosmopolite, la présence et la notoriété internationale de cette enseigne attirent les profils de tous horizons : Europe, Afrique, Antilles…

L’étonnement quant à la situation géographique de ce stage n’entraîne pas de réaction de mon interlocuteur. Il se résigne néanmoins à émettre des réserves quant à son contrat de travail qui lui ne semblait pas être de droit hexagonal. Le doute plane à ce sujet, ce ne serait pas la première société à tenter d’éluder la fiscalité française…

Le conditionnement des nouveaux venus débute par une séance de cinéma. Installés dans une salle obscure, ils assistent à la projection d’un film dévoilant sur la toile le rêve qui les attend : plages, cocotiers et autres décors de cartes postales. Gonflée à bloc, la motivation de ces privilégiés est alors à son paroxysme, chacun étant à deux doigts de devenir acteur de l’entreprise idyllique.

Le façonnage psychologique se poursuit et la formation a essentiellement pour but de tailler les embauchés aux codes et exigences de l’entreprise. Parmi les règles de base figure le tutoiement, obligatoire par tous et pour tous. Il s’agit de forcer sa nature car comme le précise Bruno, « c’est pas toujours évident de lancer un –salut, tu vas bien- en tapant dans le dos d’un type que tu n’as jamais vu ».

 

Après la théorie, la pratique avec une mise en situation dans un village école en Bretagne. Dans ce coin d’Armorique, les novices sont scrutés et évalués dans l’assimilation de la formation reçue mais aussi dans leurs facultés d’adaptation et de gestion de la pression.

A ce stade, plusieurs sont renvoyés chez eux ou partent d’eux-mêmes, ne résistant pas aux cadences infernales. Notre ami Bruno, quant à lui, quitte les lieux avec un billet pour l’Italie.

Il plonge dans son nouveau cadre de travail et applique à la lettre la méthodologie maison. C’est le début d’un cursus professionnel de dix ans de carrière, au cours duquel la mobilité géographique et hiérarchique le mèneront jusqu’au poste de « chef de village » en Amérique Latine.

 

Malgré les tenues légères et le soleil, l’investissement est total. Le nombre d’heures de travail est colossal et le sommeil une denrée rare. « Dans un village de case africain, on faisait deux accueils quotidiens de touristes, un le jour et un la nuit. Après trois heures de sommeil, il fallait se réveiller en dansant et en chantant pour souhaiter la bienvenue, c’était harassant » soupire Bruno. Toutefois, il y a également les bons cotés du métier. La réputation libertaire des clubs n’est pas une légende, « certains collègues couchaient avec une fille différente chaque soir pendant six mois ». A ce sujet, il était formellement interdit aux salariés d’avoir des aventures entre eux, ils ne pouvaient pas être en couple sous peine de renvoi. Les employés se doivent d’être célibataires, afin de représenter un fantasme pour le client.

Il va plus loin dans ses explications en les illustrant de multiples anecdotes. De nombreux clients achèteraient leur voyage dans cette enseigne pour cet aspect des vacances. « On voyait régulièrement des couples qui passaient leur séjour chacun de son coté, en quête de rencontres, puis se retrouvaient au moment du départ pour rentrer ensemble en France». L’anecdote la plus croustillante concerne une quinquagénaire aguichante qui souhaitait être satisfaite par un employé. Bredouille après trois jours sur place, celle-ci fit un scandale auprès de la direction en expliquant que ce type de prestations était en principe inclus dans le forfait !

 

Tout était hors norme, et tout était destiné au confort du client, à sa déconnexion totale du monde réel. Pour cela les grands moyens étaient employés : animations, spectacles, soirées à thèmes… Pour les nocturnes thématiques, les équipes avaient carte blanche pour créer des décors autour du monde désiré par le responsable. Comble de la bêtise, la décision prise par un chef de village, un soir où l’univers choisi était celui de « la croisière s’amuse ». Pour l’accostage de deux yachts, un feu devait être réalisé pour guider l’équipage dans sa manœuvre d’abordage. Pas de bois à disposition, qu’à cela ne tienne, l’ordre fut lancé de brûler deux petits voiliers pour obtenir les flammes. « C’était du no limit !» renchérit Bruno.

 

Les années passent et l’animateur gravit les échelons jusqu’à l’accession au poste de directeur de club, ou plutôt chef de village pour reprendre le jargon de l’entreprise. Pour ce personnage, les responsabilités sont grandes et les attributions variées. Il se doit d’être disponible pour toute sorte de sujet, sans cesse au four et au moulin dans un village accueillant environ mille personnes avec une rotation hebdomadaire de moitié.

Les problèmes à traiter vont de la simple plainte pour perte de bagage, aux formalités de rapatriement en cas d’accident ou de décès d’un touriste. Tout remonte vers le directeur qui se doit d’être accessible directement par n’importe quel vacancier.

C’est sur sa dernière affectation que Bruno rencontre la femme de sa vie, une de ses collègues. Le couple se dissimule  un certain temps et finit par prendre la décision de quitter le navire, sans contrainte aucune de la part de l’employeur. Le temps était venu de mettre un terme à cette parenthèse ensoleillée et mouvementée.

 

Toutefois le retour à la réalité n’est pas si simple, «au club on ne s’occupe de rien, pas de courses à faire ni de corvées ménagères », il faut se réhabituer à des conditions de vies plus ordinaires et  il n’est pas rare que d’anciens salariés tombent en dépression tant le décalage est total.

Pour Bruno, l’aventure restera gravée à jamais comme une magnifique expérience de vie et un apprentissage exceptionnel de la psychologie humaine. Son jugement sur l’entreprise demeure très positif, à tel point que si son fils souhaitait y travailler à sa majorité, il aura tous les encouragements de son père.


Derby basque, les raisons de la désaffection du public

Institution parmi les institutions, l’opposition rugbystique entre les équipes des deux villes voisines de la côte basque est un incontournable dans la vie des habitants de cette région. D’un côté Bayonne l’authentique prolétaire et de l’autre Biarritz l’aristocrate jet-seteuse s’affrontent pour la suprématie locale au travers de trente gaillards prêts à en découdre pour le plus grand bonheur des supporters qui se précipitent sur les places épuisées en quelques jours.

Sauf que cette année, le scénario habituel n’a pas été respecté à la lettre. Initialement prévue à San Sebastian, le rencontre qui doit opposer dimanche le Biarritz Olympique à l’Aviron Bayonnais se déroulera finalement dans le jardin biarrot. Faute de billetterie conséquente, le conseil d’administration du club rouge et blanc a décidé mardi de relocaliser ce match, par crainte de voir l’enceinte l’Anoeta sonner creux.

Si chacun y va de son explication et de ses sarcasmes quant à cette ultime décision, on peut néanmoins lister au nombre de cinq les raisons de cet échec populaire.

 

1-      Une délocalisation un dimanche en fin d’après-midi

Le rugby professionnel, plus que tout autre sport est ultra dépendant des droits télévisuels et de son partenaire historique en la matière, la chaîne cryptée Canal+. La ligue nationale de rugby n’ayant pas réussi à trouver d’autres canaux cathodiques intéressés par le produit Top 14, la chaîne payante fait la pluie et le beau temps quant aux horaires des retransmissions.

Programmée un dimanche en fin d’après-midi, l’événement a eu du mal à mobiliser les foules dont le retour au domicile aurait été bien tardif pour un jour où la majorité des gens préfère profiter en douceur des derniers instants du week-end en famille.

 

2-      Trop de délocalisations tue la délocalisation

Les délocalisations sont à la mode dans le championnat de France de rugby. Au nombre de 21 la saison dernière, trente étaient prévues pour cette édition 2012-13. Et pour cause, dans un sport à l’économie extrêmement étriquée, les clubs sont friands d’organiser de tels événements, pensant avec jubilation aux recettes de billetterie extraordinaires générées.

Précurseur en la matière, le club biarrot n’est pas à son coup d’essai mais force est de constater que la récurrence des délocalisations (en championnat et en coupe d’Europe) amoindrit la portée d’un évènement devenu somme toute banal, un événement qui n’en est plus un.

 

3-      La crise frappe également les portefeuilles basques

Cet argument pointé du doigt par Philippe Ruggieri, le vice-président de l’Aviron Bayonnais n’est pas à occulter. Interrogé par France Bleu Pays Basque, celui-ci avoue avec humilité que si son club avait du organiser un tel événement, le résultat aurait probablement été du même acabit.

Les temps sont durs pour (presque) tout le monde, et si l’on se place dans la peau d’un ménage moyen, on sait qu’après les vacances d’été et les frais de rentrée, mais avant les fêtes de fin d’année arrivent les avis d’impôts locaux dans nos boites aux lettres.

Dans cette période de morosité ambiante, les gens sont donc dans l’obligation de faire des choix, il semble qu’un déplacement en Gipuzkoa (transport, billet, restauration) ne soit pas une priorité.

 

4-      Le spectacle en berne

Peut de monde l’évoque pour ce match en particulier et pourtant combien de personnes se plaignent de façon régulière du spectacle déplorable offert sur les terrains du Top 14 ?

Tout le monde se souvient de l’insipide finale de la saison dernière devant laquelle des millions de téléspectateurs ont du lutter contre l’endormissement. Si la vitrine de ce sport était peu alléchante ce jour, il faut malheureusement avouer que ce type de prestations à vous décrocher la mâchoire se multiplie sur tous les prés de l’ovalie professionnelle.

Sans être un adepte du « c’était mieux avant », tout un chacun qui suit ce sport depuis longtemps ne peut que constater une évolution négative en la matière depuis l’avènement du professionnalisme. Concentrés sur la densité physique et sur la défense, les techniciens ont privilégié le sport de combat au détriment du jeu. Autrefois jeu de ballon avec des phases de combat, le sport a mué en une discipline d’affrontement physique dans laquelle le ballon occupe désormais une place minime.

 

5-      Des résultats sportifs peu glorieux

Englué dans les méandres du classement, le club bayonnais est une nouvelle fois parti pour faire souffrir ses supporters, une saison de plus. Loin d’être masochistes, ceux-ci continuent à soutenir leur équipe mais renoncent au derby pour les raisons évoquées précédemment.

Quant aux biarrots, ils ne souhaitent peut-être pas se déplacer pour assister à une « affiche » qui opposerait leurs favoris à l’équipe avant-dernière du Top 14.

Une situation analogue s’est déjà retrouvée les années précédentes et n’a pas empêché de combler le stade de la Real Sociedad. Cependant, pour cette édition, cette circonstance se cumule aux quatre autres motifs et participe de la désaffection.

 

C’est donc la combinaison de tous ces facteurs qui a abouti à la décision des dirigeants biarrots qui ont pensé qu’il valait mieux que la partie prenne place dans le stade Aguilera plein plutôt que dans l’enceinte d’Anoeta à moitié vide.