Je suis Charlie : après l’émotion, les questions

Article : Je suis Charlie : après l’émotion, les questions
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13 janvier 2015

Je suis Charlie : après l’émotion, les questions

Nous avons vécu une semaine historique. Des jours qui resteront gravés à jamais dans les mémoires de tous nos contemporains. Après avoir été la cible de plusieurs attaques terroristes quasi simultanées, la France a réagi de la plus belle des manières. Pourtant, derrière ces torrents de bons sentiments et après ces heures passées sous le signe du « tout le monde il est beau, tout le monde il est Charlie », de nombreuses questions restent en suspens.

Il me semblait important de bien les lister, car se poser les bonnes questions, c’est se donner une chance de trouver les bonnes réponses.

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Comment améliorer le traitement médiatique des catastrophes ?

Mon premier sentiment du mercredi passé fut la tristesse. Comme presque tous les jours serais-je tenté de dire. Car il faut bien l’avouer notre quotidien est bercé par les attaques terroristes. Chaque matin devant mon petit déjeuner, j’entends de macabres décomptes en Syrie, en Irak, au Pakistan… Ceux-ci ne durent guère plus de dix secondes à l’antenne alors que l’attentat de Charlie Hebdo monopolise l’attention médiatique depuis près d’une semaine.

C’est bien connu, l’empathie ne fonctionne qu’avec ses semblables. Trois morts lors d’un marathon bostonien font plus de bruit que des milliers de victimes au Nigeria. Du cynisme de la hiérarchisation des victimes…

Il ne faut pas le nier, les vies n’ont pas toutes la même valeur dans le traitement journalistique. Alors il est bien beau de manifester pour les valeurs de la France, mais l’égalité de notre devise nationale est ici sérieusement écornée par ce constat aussi affligeant qu’imparable.

Combien de temps les musulmans devront-ils s’excuser?

A tous les musulmans, amis ou inconnus, je leur dis sans crainte : vous n’avez pas à vous justifier, encore moins à vous excuser des actes commis par ces monstres. Dire que vous condamnez ces atrocités « en tant que musulman » est de trop, car en tant qu’êtres humains nous sommes tous choqués par cette ignominie.

Quel suivi pour les condamnés dans des affaires de terrorisme ?

Qu’il s’agisse des frères assassins de Charlie Hebdo, du preneur d’otages du supermarché casher, mais aussi du meurtrier toulousain de l’école juive, tous étaient connus des services de police et suivis par les renseignements généraux. Alors que fait la police ?

Elle fait ce qu’elle peut certainement, mais à catégorie de crimes exceptionnelle (le terrorisme), mesure de justice exceptionnelle. Il serait temps de mettre en place des systèmes de contrôle post-carcéral contraignants pour des individus dont on n’ignore pas qu’ils constituent une menace pour l’ensemble de la société.

Quel rôle pour nos prisons ?

Tous étaient connus des services de police et tous étaient passés par la case prison. La prison pour punir c’est bien, quand elle peut recadrer et rééduquer s’est encore mieux. Les geôles françaises sont loin de cet objectif. Il est évident qu’au lieu de casser les ailes aux délinquants et aux criminels de tous poils, elle est devenue un catalyseur de réseaux.

Dans ces zones de non-droit, des prisonniers se moquent des règles et de la loi en se prenant en photo avec des liasses de billets, des substances illicites… Pire encore, des prisonniers entrés pour des faits de droit commun se retrouvent sous la coupe de fanatiques « religieux » qui voient en ces brebis égarées des cibles idéales pour leur litanie mortifère. Des mesures d’isolement strictes pour ce genre d’individus éviteraient qu’ils ne contaminent des personnes déjà suffisamment violentes.

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Pourquoi le modèle républicain n’est-il plus efficace ?

Les attaques sont perpétrées par des Français, nés sur le territoire hexagonal, élevés sur les bancs de l’école républicaine. Comment les enfants d’une nation peuvent-ils ainsi se retourner contre elle avec une telle haine ?

La mauvaise réponse apportée par des raisonnements simplistes consiste à pointer les origines des personnes en démontrant que l’intégration des populations (de culture musulmane) n’est pas possible dans nos pays européens. Cette approche est totalement fausse et ne tient pas compte de la réalité du problème. La vérité est que, parmi les embrigadés du terrorisme islamiste, nombre d’entre eux sont des convertis, ils portent les prénoms tels que Nicolas, Jean-Daniel, Raphaël, Émilie, Maxime, Flavien

Les thèses xénophobes tombent à l’eau et c’est bien plus compliqué, car il faut trouver les causes beaucoup plus profondes et plus sérieuses. La perte de repères en fait partie. Nous vivons dans un monde où les grands hommes politiques ne sont pas légion, l’avenir est incertain et beaucoup de jeunes ont (trop tôt) perdu espoir. Certains cherchent alors des causes pour donner un sens à leur vie. Et c’est ainsi que des paumés du monde entier sont ralliés par d’habiles parleurs auprès de qui ils se sentent importants, eux, les délaissés de la société.

Doit-on divulguer le nom des terroristes ?

Andy Warhol l’avait prédit, chacun aura son quart d’heure de célébrité. Je reste convaincu ql’autre se faisait filmer en trainue ces individus en quête de gloire sont aussi à la recherche de la lumière médiatique. On a tous en tête les images d’eux (avant leur célébrité) se mettant en scène devant une caméra ou un objectif. L’un fait l’objet d’un article dans Le Parisien,  de frimer dans sa voiture, enfin un autre rêvait de gloire derrière un micro.

Aux États-Unis les violentes pulsions de jeunes marginaux s’expriment dans de spectaculaires fusillades de lycées ou le but de l’auteur est double : faire un maximum de victimes et être à la une des journaux. En France, ceux-ci se tournent vers des sectes terroristes avec des objectifs finalement pas si éloignés. La célébrité à tout prix.

Voilà pourquoi je déplore que l’on divulgue le nom des ces personnes et j’ai veillé à ne pas les citer dans ce billet. Penser qu’ils deviennent des sortes de modèles ou de références pour d’apprentis fanatiques m’impose cette réserve. Ne devrait-on pas l’ériger comme une règle ?

Faut-il pactiser avec les financiers du terrorisme ?

Si une fraction des revenus provient de trafics en tout genre (stupéfiants, armes, humains), une partie des financements proviendrait d’Etats devant lesquels nos dirigeants déroulent le tapis rouge. En pôle position on retrouve l’Arabie saoudite et le Qatar dont les liens avec plusieurs organisations terroristes seraient établis. En dépit de cela, nous ouvrons grand nos portes aux capitaux de ces pays dont les pétro et gazeo-dollars ont tendance à rendre aveugle nos gouvernants. Pactiser avec le diable a un prix, et la facture s’avère salée.

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Quelles sont les valeurs de la France ?

Lorsque les gens défilaient hier, ils mettaient en avant les valeurs de la république. Mais quelles sont-elles au juste ? Chacun ne voit-il pas midi à sa porte en la matière ?

Tout d’abord il s’agissait de défendre la liberté d’expression. Le manifestant sait-il que la France est loin d’être une championne dans ce domaine ? Selon le classement annuel établi par Reporters sans frontières sur la liberté de la presse, la France se place en 39e position entre Le Salvador et Samoa, bien loin du Ghana (27e), de la Jamaïque (17e) et de la Finlande (1ère). Alors, pour résumer, on descend dans la rue pour défendre un droit que l’on croit intangible mais qui en réalité est bafoué depuis fort longtemps dans notre douce France. Combien de médias sont réellement indépendants et libres de dire ce qu’ils veulent ? Les Charlie Hebdo, Mediapart et autre Monde diplomatique ne sont pas la règle, ils sont des exceptions.

Et que dire de longue liste des états représentés aux côtés de François Hollande. Quel bonheur d’y voir des pays comme la Russie, Israël ou encore le Tchad pour ne citer qu’eux…tous d’ardents défenseurs des libertés fondamentales! 

Voilà pour la liberté. Pour l’égalité, outre ce que j’écrivais quant à la différence de traitement médiatique selon les victimes, j’ajouterais un deux autres exemples qui me reste en travers de la gorge. En 2012, des enfants étaient froidement abattus devant le portail de leur école. Aucune réaction populaire, peut-être parce qu’ils étaient juifs… En 2014, une ministre était comparée à un singe à cause de la couleur de sa peau. Aucune réaction de la société civile, peut-être parce qu’elle est noire…

Enfin pour la fraternité, nous avons vu de belles images d’accolades hier, sans distinction de races, de religions ou de nationalités. Le soir venu, un collectif se relayait pour porter des lettres qui formaient le mot SOLIDARITE. Quand je les ai vus, je me suis alors demandé combien de personnes dormiraient sous les ponts la nuit tombée. Car elle est peut-être ici la plus grande violence (silencieuse et meurtrière) ; des gens meurent dans la rue faute d’endroits où dormir dans la sixième puissance économique mondiale.

 

Ces millions de personnes rassemblées ont participé à un événement exceptionnel par son ampleur et par sa cohésion apparente. D’un moment tragique est née en quelques heures, passant de la psychose à l’euphorie générale, une ferveur extraordinaire, un espoir dont on ne sait s’il aura des répercussions à long terme dans les comportements et la conscience collective française? Réponse en 2017… et gare à la douche froide!

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Commentaires

Marine
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Merci pour cet article très juste qui reprend efficacement à mon sens les questions qui trottent dans nos têtes dernièrement.
Pour ce qui est de la faille du modèle républicain, outre la perte de repère, je dirais que le désœuvrement/chômage et la ghettoïsation jouent aussi leur rôle dans la diffusion du fanatisme...

Yanik
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Merci pour ce commentaire Marine!
Pour ma part, je considère que le désœuvrement (lié au chômage) fait partie intégrante de la perte de repères.
Quant à la ghettoïsation, bien sur elle ne peut être que mauvaise, mais on a bien vu des jeunes partir au djihad alors qu'ils avaient grandi dans des villages de Normandie ou de Bretagne... La perte de repères et surtout la perte d'espoir me parait être plus importante car elle touche presque toutes les couches sociales.