Comme dans Les Bronzés ?

Article : Comme dans Les Bronzés ?
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28 septembre 2012

Comme dans Les Bronzés ?

Le témoignage d’un animateur en club de vacances  

 

 C’était une soirée ordinaire qui débuta autour d’un verre. Parmi les convives, une fois n’est pas coutume, quelques visages inconnus parsemés dans l’assistance. Entre l’habituel et le nouveau, mes jambes ne tremblèrent pas et dirigèrent mes pas vers une des ces personnes étrangères.

 

Grand gaillard au visage jovial, Bruno ne se fit pas prier pour entretenir la conversation. Au terme de cinq minutes de dialogue, il fit savoir qu’il avait travaillé pour une célèbre compagnie de villages vacances. Comme l’immense majorité des français, l’image de cette société est et sera dans mon esprit éternellement rattachée au célèbre film de la troupe du Splendid et, inévitablement, la question qui brûle les lèvres ne tarda pas à être posée : « est-ce vraiment comme dans les Bronzés ? ».

La réponse ne se fit pas attendre et fut au-delà des espérances. Esquissant un léger sourire, Bruno susurra : « c’est pire ! ».

Intrigué, je bombardais l’ancien G.O afin d’en savoir plus sur cette expérience de dix ans passées dans les villages vacances du voyagiste.

 

Démarrons par le commencement de cette aventure décennale. Au début des années 1990, âgé de vingt ans, Bruno est attiré par l’idée de travailler au soleil tout en découvrant du pays. Il remplit un dossier de candidature, questionnaire et composition écrite, qui sera retenu par le recruteur. Ce dernier l’invite alors à se rendre à Paris pour une seconde étape ; une journée de tests et d’entretiens ayant principalement pour but de découvrir la psychologie du candidat. A l’issue de ce marathon, le jeune homme est renvoyé chez lui sans commentaire. S’en suit une longue période d’attente à guetter la boite aux lettres pour connaître la suite des événements. Le courrier tant espéré arrive après une quinzaine de jours, Bruno est engagé et doit se présenter à Londres pour une semaine de formation.

 

Le séjour britannique est cosmopolite, la présence et la notoriété internationale de cette enseigne attirent les profils de tous horizons : Europe, Afrique, Antilles…

L’étonnement quant à la situation géographique de ce stage n’entraîne pas de réaction de mon interlocuteur. Il se résigne néanmoins à émettre des réserves quant à son contrat de travail qui lui ne semblait pas être de droit hexagonal. Le doute plane à ce sujet, ce ne serait pas la première société à tenter d’éluder la fiscalité française…

Le conditionnement des nouveaux venus débute par une séance de cinéma. Installés dans une salle obscure, ils assistent à la projection d’un film dévoilant sur la toile le rêve qui les attend : plages, cocotiers et autres décors de cartes postales. Gonflée à bloc, la motivation de ces privilégiés est alors à son paroxysme, chacun étant à deux doigts de devenir acteur de l’entreprise idyllique.

Le façonnage psychologique se poursuit et la formation a essentiellement pour but de tailler les embauchés aux codes et exigences de l’entreprise. Parmi les règles de base figure le tutoiement, obligatoire par tous et pour tous. Il s’agit de forcer sa nature car comme le précise Bruno, « c’est pas toujours évident de lancer un –salut, tu vas bien- en tapant dans le dos d’un type que tu n’as jamais vu ».

 

Après la théorie, la pratique avec une mise en situation dans un village école en Bretagne. Dans ce coin d’Armorique, les novices sont scrutés et évalués dans l’assimilation de la formation reçue mais aussi dans leurs facultés d’adaptation et de gestion de la pression.

A ce stade, plusieurs sont renvoyés chez eux ou partent d’eux-mêmes, ne résistant pas aux cadences infernales. Notre ami Bruno, quant à lui, quitte les lieux avec un billet pour l’Italie.

Il plonge dans son nouveau cadre de travail et applique à la lettre la méthodologie maison. C’est le début d’un cursus professionnel de dix ans de carrière, au cours duquel la mobilité géographique et hiérarchique le mèneront jusqu’au poste de « chef de village » en Amérique Latine.

 

Malgré les tenues légères et le soleil, l’investissement est total. Le nombre d’heures de travail est colossal et le sommeil une denrée rare. « Dans un village de case africain, on faisait deux accueils quotidiens de touristes, un le jour et un la nuit. Après trois heures de sommeil, il fallait se réveiller en dansant et en chantant pour souhaiter la bienvenue, c’était harassant » soupire Bruno. Toutefois, il y a également les bons cotés du métier. La réputation libertaire des clubs n’est pas une légende, « certains collègues couchaient avec une fille différente chaque soir pendant six mois ». A ce sujet, il était formellement interdit aux salariés d’avoir des aventures entre eux, ils ne pouvaient pas être en couple sous peine de renvoi. Les employés se doivent d’être célibataires, afin de représenter un fantasme pour le client.

Il va plus loin dans ses explications en les illustrant de multiples anecdotes. De nombreux clients achèteraient leur voyage dans cette enseigne pour cet aspect des vacances. « On voyait régulièrement des couples qui passaient leur séjour chacun de son coté, en quête de rencontres, puis se retrouvaient au moment du départ pour rentrer ensemble en France». L’anecdote la plus croustillante concerne une quinquagénaire aguichante qui souhaitait être satisfaite par un employé. Bredouille après trois jours sur place, celle-ci fit un scandale auprès de la direction en expliquant que ce type de prestations était en principe inclus dans le forfait !

 

Tout était hors norme, et tout était destiné au confort du client, à sa déconnexion totale du monde réel. Pour cela les grands moyens étaient employés : animations, spectacles, soirées à thèmes… Pour les nocturnes thématiques, les équipes avaient carte blanche pour créer des décors autour du monde désiré par le responsable. Comble de la bêtise, la décision prise par un chef de village, un soir où l’univers choisi était celui de « la croisière s’amuse ». Pour l’accostage de deux yachts, un feu devait être réalisé pour guider l’équipage dans sa manœuvre d’abordage. Pas de bois à disposition, qu’à cela ne tienne, l’ordre fut lancé de brûler deux petits voiliers pour obtenir les flammes. « C’était du no limit !» renchérit Bruno.

 

Les années passent et l’animateur gravit les échelons jusqu’à l’accession au poste de directeur de club, ou plutôt chef de village pour reprendre le jargon de l’entreprise. Pour ce personnage, les responsabilités sont grandes et les attributions variées. Il se doit d’être disponible pour toute sorte de sujet, sans cesse au four et au moulin dans un village accueillant environ mille personnes avec une rotation hebdomadaire de moitié.

Les problèmes à traiter vont de la simple plainte pour perte de bagage, aux formalités de rapatriement en cas d’accident ou de décès d’un touriste. Tout remonte vers le directeur qui se doit d’être accessible directement par n’importe quel vacancier.

C’est sur sa dernière affectation que Bruno rencontre la femme de sa vie, une de ses collègues. Le couple se dissimule  un certain temps et finit par prendre la décision de quitter le navire, sans contrainte aucune de la part de l’employeur. Le temps était venu de mettre un terme à cette parenthèse ensoleillée et mouvementée.

 

Toutefois le retour à la réalité n’est pas si simple, «au club on ne s’occupe de rien, pas de courses à faire ni de corvées ménagères », il faut se réhabituer à des conditions de vies plus ordinaires et  il n’est pas rare que d’anciens salariés tombent en dépression tant le décalage est total.

Pour Bruno, l’aventure restera gravée à jamais comme une magnifique expérience de vie et un apprentissage exceptionnel de la psychologie humaine. Son jugement sur l’entreprise demeure très positif, à tel point que si son fils souhaitait y travailler à sa majorité, il aura tous les encouragements de son père.

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